Démantèlement du Service Public SNCF et mort du statut de cheminot


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 Locomotive d'or, gare de Tours mai 2018

Le 1er janvier 2020, entrait en vigueur la loi «pour un nouveau pacte ferroviaire».
À travers l’ouverture à la privatisation de la SNCF divisée à présent en cinq sociétés anonymes et la mort du statut de cheminot, ce début d’année marque bel et bien la fin de l’entreprise ferroviaire française SNCF créée en 1938 en tant que service public.

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Technicentre de Saint-Pierre-des-Corps, juin 2018

La SNCF est à présent découpée en Sociétés Anonymes.
La S.A. « Réseau » qui porte l’infrastructure reste publique. C’est elle qui coûte le plus cher avec l’entretien du réseau ferroviaire, et elle reste donc à la charge de l’État.
« Gare et Connexion », filiale privatisée de la SA « Réseau » aux parts cessibles, porte quant à elle les gares. La rentabilité des gares a été évaluée pour n'en privilégier qu'une centaine sur tout le territoire. Certaines, moins rentables, pourront être vendues à des particuliers comme ce fut le cas à Reignac.
La S.A. SCNF Logistique porte le fret (transport de marchandises) et comprend pour filiale Geodis et Keolis, opérateurs privés qui gèrent le transport public de Bordeaux, Lyon, Renne, Lille, ou Dijon. Les investisseurs privés profitent ainsi de toute l’infrastructure héritée d’années d’investissements publics et récupèrent de plus du personnel qui, lors de son transfert, n’a pas d’autre choix que de perdre le cadre du statut de cheminot ou d’être muté loin de son lieu de résidence.

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Manifestation dans le Technicentre de Saint-Pierre-Des-Corps, 7 juin 2018

À partir du 1er janvier 2020, plus aucun nouveau recrutement ne se fera sous le statut de cheminot.
De ce fait, d’ici quarante ans, le statut de cheminot aura totalement disparu.
Depuis plusieurs années, le détricotage du statut est déjà une réalité et certains nouveaux employés dits contractuels étaient déjà affiliés au régime général. Ils ne bénéficient pas de la protection liée au statut de cheminot en terme de sécurité de l’emploi, d’assurance maladie ou de retraite par exemple, malgré une pénibilité et des risques pourtant bien réels. Pour le même travail déjà en 2018, un conducteur contractuel ne pouvait prétendre à la retraite qu’à 62 ans contre 57 ans pour un cheminot bénéficiant du statut.

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Manifestation dans le Technicentre de Saint-Pierre-Des-Corps, 7 juin 2018

Lors de la lutte de 2018 pour la défense du statut de cheminot et de la SNCF comme service public, un calendrier de 2 jours de grève sur 5 a été proposé par l’inter-syndicale suite à une initiative de la CGT. Cette tactique pensée comme un atout pour les travailleurs et travailleuses afin de perdre moins tout en visant une mobilisation dans la durée, fut un moyen pour l’entreprise, les usagers et les entreprises concurrentes de s’organiser en minimisant l’impact de la grève.

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Reflet de vitrine, rue Nationale à Tours lors de la manifestation des cheminots, 24 avril 2018

Malgré des revendications d’intérêt collectif centrées notamment sur la défense du service public et sur l’importance écologique du rail face au transport routier, les cheminots se sont mobilisés seuls en 2018. La représentation de cette grève, déformée par le prisme d’un individualisme galopant exacerbé par certains médias et membres du gouvernement, fut reçue dans l’opinion publique comme un moyen de défendre les intérêts propres des cheminots souvent taxés de privilégiés.

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Gare de Tours, avril 2018

La sécurité est un des fondements de l’identité des cheminots et le « droit de retrait » un levier pour dénoncer des conditions de travail qui se dégradent et mettent en péril usagers comme travailleurs.
En octobre 2019, de nombreux employés du rail ont mis en avant ce droit de retrait en dénonçant le principe d’« équipement agent seul » (EAS), qui concerne 75 % des TER, et où le conducteur est le seul salarié de la SNCF à bord. Les conducteurs refusant de reprendre le travail en exerçant leur droit de retrait ont alors été accusés par certains membres du gouvernement et par la direction de prendre les usagers en otage. Malgré des tentatives de sanction, la SNCF a ensuite abandonné ses poursuites à leur égard.
La baisse d’effectif sur certains postes à risque représente pour beaucoup un réel danger qui s’est illustré dans l’accident du 16 octobre.
Ces conditions de travail jugées dangereuses sont le fruit d’une politique de rentabilité et de malléabilité des employés, politique qui sera d’autant plus effective une fois le statut de cheminot démantelé et la SNCF scindée en SA au sein desquelles les salariés seront de fait moins protégés.

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Torche à flamme rouge sur le toit de la gare des Aubrais, juin 2018
comme un signal d’alerte avant la mort programmée d’un service public et du statut de cheminot.

C’est grâce à ce type d’agrès de sécurité manuel que lors de l’accident du 18 octobre 2019 pendant lequel tout l’avant du train de voyageur a été endommagé, le conducteur, alors seul personnel de son train, a dû courir sur les voies laissant les voyageurs sans surveillance afin d’alerter le train de marchandise qui arrivait en sens inverse et menaçait de percuter le train de voyageurs accidenté.

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Colonne à pétard utilisée sur les voies en guise de signal de détresse sonore, et mise ici à contribution lors d’une manifestation à Saint-Pierre-Des-Corps, 7 juin 2018

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Occupation quelques minutes du ‘‘ Poste 1’’ de triage télécommandé des Aubrais , 22 juin 2018

Suite au mouvement de 2018, la SNCF a tenté de prendre des mesures contre des salariés mobilisés. Conseils de discipline («tapis vert») , radiation des cadres, menaces de sanctions lourdes en cas de blocage des voies... les suites du mouvement ont été intenses pour certains et certaines.
Ces mesures, souvent jugées abusives et dénoncées par les syndicats comme des tentatives d’intimidation portent pour autant leurs fruits. Plus aucun blocage de voie ou de poste d’aiguillage n’a eu lieu depuis 1995.

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Manifestation des cheminots  entre la gare d’Orléans et la gare de triage des Aubrais, 22 juin 2018

Le 1er juillet 1998 entrait en vigueur une loi de 1993 libéralisant le cabotage, c’est-à-dire la possibilité pour une entreprise non résidente d’un pays membre de l’Union Européenne d’y effectuer des transports intérieurs. Le transport routier de marchandises était alors ouvert à un dumping social sans précédent et à une mise en concurrence toujours plus violente pour les travailleurs.
Les 9 juillet 2015, c’est au tour de la «loi Macron» de libéraliser le transport routier de voyageurs cette fois, permettant aux entreprises du secteur de ne plus être limitées à leur tour par le cabotage.
Les bus pouvaient dès lors librement remplacer les trains sur tout le territoire à des prix défiant toute concurrence, toujours au détriment des conditions de travail et de la sécurité des usagers comme des conducteurs.
Aussi, véritables non-sens en terme d’écologie, ces mesures guidées par l’idéologie libérale ont été dénoncées massivement par les cheminots pour l’intérêt général lors des grèves de 2018. Alors que la France s’est engagée à réduire son emprunte carbone, le volume de transport de marchandise par le rail a quasiment été divisé par deux entre 2000 et 2014 (source SOeS, CCTN 2014).
Il faut pourtant environ 50 camions pour remplacer un seul train de marchandises.

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Gare de Saint Pierre Des Corps, 7 juin 2018

Cheminot depuis 1974 et aujourd’hui à la retraite, Patrick L. était déjà mobilisé en 1995. À l’époque, le statut tout comme le régime général était attaqué sur le volet des retraites. Depuis, les mobilisations se sont succédé et Patrick est toujours là. Le temps semble arrêté.
En 2018 c’est l’ensemble du statut de cheminot qui voit sa fin annoncée et la nouvelle charge de la réforme des retraites pour le régime général ne se sera pas beaucoup fait attendre.

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Statues de Don Quichotte et de Sancho Panza portant les blasons des syndicats devant la gare de Saint-Pierre-Des-Corps, 18 avril 2018

Après la grève victorieuse de 1995 contre la réforme de la sécurité sociale et des retraites portée par Alain Juppé, les mouvement de grève à la SNCF se sont succédé au fil des années. 2001, 2007, 2010 et 2014 sont des années de mobilisations importantes contre le détricotage du statut et de l’entreprise publique. Les attaques pour la lente libéralisation des différents services publics et contre le système français de protection sociale continuent de se succéder. Les réformes qui ne passent pas en une fois sont reportées ou subdivisées, les retraites en sont un exemple.
Ici des statues de Don Quichotte et de Sancho Panza, dans un nuage des fumigènes devant la gare de Saint-Pierre-Des-Corps, semblent se battre éternellement contre les moulins à vents d’un capitalisme ravageur.

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Gare de Saint-Pierre-Des-Corps, 18 avril 2018

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Les Aubrais, 22 juin 2018

Après la mobilisation de 2018, le moral était au plus bas parmi les cheminots mobilisés.
Beaucoup se sont dit qu’ils avaient perdu la dernière bataille et que le l’économie libérale avait eu raison d’un des derniers vestiges de modèle de protection sociale français qui avait inspiré le programme du Conseil National de la Résistance en 1944.

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Les Aubrais, le 22 juin 2018

Lors du mouvement social de 2019 contre la nouvelle réforme des retraites, les cheminots ont tenté une nouvelle fois d'impulser un nouveau rapport de force et d'emporter avec eux l'ensemble des citoyens.
Beaucoup se disent que c’était pour eux l’une des dernières luttes, d’autres répondent que c’est peut-être l’une des premières pour un changement global.



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